La Poésie
poésie , art du langage, qui se caractérise par la mise en jeu de toutes les ressources de la langue (lexicales, syntaxiques, mais aussi sonores et rythmiques) afin de créer pour le lecteur ou l'auditeur un plaisir à la fois intellectuel et sensible.
2. QU'EST-CE QUE LA POÉSIE ?
2.1. Une thématique ?
2.2 Un genre versifié
2.3 Un art du langage ?
L'activité poétique trouve son origine dans la volonté de briser l'arbitraire des signes langagiers, c'est-à-dire d'aller à l'encontre des lois de la prose (il s'agit ici de la prose non littéraire). Celle-ci se définit comme le langage ordinaire, « standard », soumis à l'arbitraire de la relation entre signe et sens (ou entre signifiant et signifié). Vouée à une pure mission de communication d'informations, la prose se doit d'être un langage collectif, immédiatement compréhensible par le plus grand nombre ; elle ne permet donc pas à l'individu de manifester ses particularités. « La création poétique, écrit Octavio Paz, est d'abord violence faite au langage. »
Or, puisque l'Homme vit toute expérience à travers le langage, puisqu'il est Homme par le langage, la poésie est un moyen pour lui de mieux comprendre, en l'exprimant, son rapport au monde mais aussi de rendre compte au plus juste de son expérience (sensible, intellectuelle, etc.) dans ce qu'elle a d'irréductiblement particulier. Grâce à ce langage intime, qui lui est tout à fait propre, le poète parvient paradoxalement à exprimer la vérité de l'humaine condition, et c'est en cela qu'il touche la sensibilité de ses lecteurs. Ainsi, même si, comme le dit Baudelaire, « la poésie n'a pas d'autre but qu'elle-même », elle n'est pas une activité futile, mais bel et bien une expérience fondamentale de liberté.
Signalons, en dernier lieu, qu'on appelle parfois un texte poétique une « poésie » : c'est un emploi impropre, le texte poétique étant un « poème ».
Pour des raisons de commodité et de logique, nous étudierons d'abord ici l'histoire de la poésie comme genre, avant de porter notre étude sur les procédés spécifiques à la poésie en tant qu'art du langage.
3. HISTOIRE DU GENRE POÉTIQUE
3.1. Origines antiques
À l'origine, la poésie était étroitement liée à l'oralité, notamment au chant et à la musique : les poètes grecs, les « aèdes », chantaient leurs poèmes, comme le feront plus tard, au Moyen Âge, les troubadours et les trouvères. C'est sans doute à cause de cette oralité que la poésie développa des systèmes de renvois et de rappels sonores : le vers, scandé par la rime, la régularité du rythme et les rappels sonores (assonances, allitérations, etc.), étaient là pour aider l'auditeur à retenir le poème (voir versification).
3.2. Du Moyen Âge au XVIe siècle
Du point de vue thématique, la poésie continua longtemps de raconter les mythes fondateurs, et, sous la forme épique, elle célébra les hauts faits des héros et des rois — réels ou légendaires. Elle chanta aussi les valeurs chevaleresques et courtoises de la société médiévale. La poésie de circonstance fit son apparition dans l'univers seigneurial : les poètes, attachés à tel ou tel seigneur, plus tard à telle ou telle cour de France ou d'Europe, chantaient la gloire et les vertus de leur protecteur, dont dépendait leur survie matérielle. Cette poésie, liée au pouvoir aristocratique d'abord et au régime monarchique ensuite, prospéra jusqu'à la fin du XVIIe siècle. Elle devait décliner au cours du XVIIIe siècle avec l'émergence progressive de la bourgeoisie, et disparaître totalement dans la société bourgeoise et industrielle du XIXe siècle. On doit à Guillaume de Machaut la codification des premières formes fixes, au XIVe siècle ; avec les rhétoriqueurs du XVe siècle, la poésie se réduisit parfois à des jeux de virtuosité formelle.
Jusqu'au XVIe siècle, la théorie de l'inspiration divine héritée des Grecs se perpétua : les poètes de la Pléiade, Ronsard en premier lieu, se présentaient comme des sortes d'élus, gommant la notion de travail poétique au profit de la « fureur sacrée » de l'inspiration, semblable à l'« enthousiasme » platonicien. Le XVIe siècle fut marqué également par des changements formels et lexicaux importants : la Pléiade, dont Du Bellay se fit le porte-parole dans son pamphlet Défense et Illustration de la langue française, recommanda l'enrichissement du français par emprunt de termes étrangers, et introduisit des formes littéraires antiques ou italiennes, jusque-là ignorées ou délaissées par les poètes français. Parmi ces formes fixes, le sonnet allait être voué en France à un destin particulièrement brillant.
3.3. Période classique
C'est au XVIIe siècle que la langue poétique fut très précisément codifiée et que le mot « poésie » ne fut plus utilisé que pour désigner un genre littéraire en vers. Si les formes poétiques courtes — l'épigramme, le madrigal et le sonnet — se pratiquaient encore, il est certain que la « poésie dramatique », c'est-à-dire le théâtre (les tragédies de Racine, par exemple, écrites en alexandrins), dominait la production poétique. Malherbe, qui fut le grand théoricien de l'esthétique classique, préconisait en poésie l'utilisation d'une langue tout à fait différente de celle de tous les jours : il s'agissait de privilégier l'emploi d'un lexique « noble » (les mots jugés indignes ou triviaux étant rejetés) et de recourir à une syntaxe complexe, où primaient les inversions et les périphrases (voir rhétorique, figures de).
Sans renoncer totalement aux théories de l'inspiration, l'âge classique eut la particularité de remettre à l'honneur l'idée de « travail » poétique, l'idée d'une élaboration laborieuse et progressive du texte, en bref d'un véritable artisanat poétique que les siècles précédents avaient dédaigné.
3.4. XVIIIe siècle
3.5. Période romantique
Rappelons que la révolution romantique était liée à des conditions économiques et sociales nouvelles : la poésie, libérée de l'asservissement aux grands de ce monde, redevenait une pratique libre et gratuite, c'est pourquoi elle put se recentrer sur l'individu.
3.6. Modernité poétique
3.7. Diversité du XXe siècle
a . Révolution surréaliste
b. Image et Poésie
4.UN ART DU LANGAGE
4.1 Contraintes fécondes
a. Formes traditionnelles
b. Utilité des contraintes
Cependant, avant de considérer les formes fixes comme des étaux susceptibles d'empêcher l'inspiration poétique de se déployer, il faut se rappeler qu'à l'origine ces formes avaient une utilité : face à son auditoire, peut-être nombreux et parfois distrait, le poète antique ou médiéval devait scander son texte, le rythmer de façon bien marquée et l'émailler de rappels sonores, afin de captiver l'attention et surtout de permettre à son public de mémoriser son texte et d'en comprendre l'organisation.
Le rejet des formes traditionnelles, si radical fût-il, ne remit pas en cause le principe qui avait présidé à leur élaboration, et il s'accompagna de solutions de substitution pour structurer le poème. Si la rime fut supprimée, si le vers rythmé fut abandonné, si l'organisation en strophes fut délaissée, leur rôle fut confié à d'autres procédés. Voir Versification.
4.2. Procédés de la poésie moderne
La poésie moderne, libérée de la contrainte des formes anciennes, s'est donné d'autres lois, mais des lois souples et souvent provisoires, perçues comme des outils de travail, voire comme des jeux. Mais, aujourd'hui comme hier, le poète a recours aux sonorités et aux rythmes pour structurer son texte. Aujourd'hui comme hier, il utilise le langage de façon décalée par rapport à la norme habituelle de la langue.
4.2.1. Choix du lexique
Il n'est plus question, au XXe siècle, d'imposer ou de s'imposer des contraintes en matière de vocabulaire. La liberté la plus totale règne, et chaque poète choisit sa voie ; certains en changent même à chaque nouveau texte.
a. Néologisme
Le décalage lexical le plus visible entre poésie et prose est le fait du néologisme, qui est pratiqué très librement par les poètes, mais qui rendrait un discours en prose inintelligible.
Ronsard pratiquait déjà le néologisme : dans le vers « Un Christ empistolé, tout noirci de fumée », l'adjectif « empistolé » est une invention. Mais c'est surtout au XXe siècle que les poètes se sont livrés à cet exercice. Henri Michaux, loin de vouloir se contenter de mots ordinaires ou même de mots rares, retombe volontairement en enfance pour retrouver la merveilleuse liberté créative des comptines. Dans son poème le Grand Combat, il invente ainsi tout un lexique guerrier lié à l'usage d'une arme blanche : « emparouille », « endosque », « rague », « roupète », « pratèle », etc. Grâce à une certaine ressemblance avec des mots existant dans la langue française et grâce à l'utilisation conjointe de quelques termes susceptibles de faire comprendre au lecteur le cadre de l'action, ce poème, qui décrit un combat singulier à l'épée, est tout à fait expressif et compréhensible.
b.Autres inventions verbales
La poésie, outre le néologisme à proprement parler, autorise toutes les formes d'invention lexicale. Citons le mot-valise, par exemple, très usité dans les poèmes de Raymond Queneau, ou encore le provincialisme. Rimbaud a recours à ce dernier procédé dans le Bateau ivre : « Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache / Noire et froide où vers le crépuscule embaumé / Un enfant accroupi plein de tristesses / Lâche un bateau frêle comme un papillon de mai. », où le terme « flache » est emprunté au parler local ardennais.
Le poète peut aussi réactiver, par divers moyens, notamment contextuels, les sens archaïques ou rares des mots, les significations tombées en désuétude qui ne viendraient pas spontanément à l'esprit du lecteur dans un énoncé courant. Lorsque Rimbaud écrit « voici le temps des assassins » dans « Matinée d'ivresse », le contexte textuel — et même biographique — indique qu'il faut comprendre le mot « assassin » comme une référence au haschishin, terme arabe désignant probablement le fumeur de haschisch : on réactive ainsi le sens étymologique du mot français « assassin ».
c. Les « mots de tous les jours »
Pourtant, en poésie, les mots banals peuvent sembler aussi insolites que les mots rares. Après Hugo, qui préconisait en poésie l'emploi des mots les plus courants, Paul Claudel recommande, dans Cinq Grandes Odes, l'emploi d'un vocabulaire ordinaire : « Les mots que j'emploie, ce sont les mots de tous les jours, et ce ne sont point les mêmes ! / Vous ne trouverez point de rimes dans mes vers ni aucun sortilège. Ce sont vos phrases mêmes. […] / Ces fleurs sont vos fleurs et vous dites que vous ne les reconnaissez pas ! »
Dans ce cas, c'est l'agencement particulier des mots, donc le recours à une syntaxe non conforme aux règles strictes de la grammaire, à une syntaxe disloquée, qui produit un effet de décalage fécond par rapport à la norme.
4.2.2. Dérive contrôlée du sens
a. Liberté syntaxique
Les figures de construction peuvent servir à rendre aux mots usés leur éclat premier : dans le vers célèbre « Vêtu de probité candide et de lin blanc », extrait de « Booz endormi » de Victor Hugo, le zeugme est la figure de construction qui permet d'associer « probité » et « lin » et de donner au premier terme (abstrait et banal) la blancheur et la pureté du second.
Certains poètes, sans avoir recours à des figures de construction répertoriées, se contentent de déroger aux lois habituelles de la syntaxe. Une pratique courante en poésie consiste à estomper les liens logiques entre les séquences verbales, ce qui a pour effet de rendre le discours moins univoque d'une part (donc ouvert à des interprétations plus nombreuses) et de créer d'autre part des court-circuits lexicaux, féconds en images. Certains juxtaposent simplement des mots pour en réactiver la puissance évocatrice : c'est ce que fait Apollinaire dans le vers « Soleil cou coupé » qui clôt le poème « Zone » : ici, trois termes appartenant au langage courant créent une image très forte parce qu'ils sont associés les uns aux autres, et cela de façon brutale car sans recours à des liens syntaxiques explicites.
b. Figures de mot
Les tropes, notamment la métaphore, la synecdoque et la métonymie, constituent un autre ensemble de procédés très utilisés en poésie. Ces figures jouent le même rôle que les figures de construction, puisqu'elles permettent d'associer étroitement les mots, voire de les confondre, pour intensifier leur charge de signification et générer des images.
c. Connotation
Tous ces procédés ont donc un même objectif, celui de condenser le sens et d'augmenter le pouvoir de suggestion des mots.
La connotation, qui est le sens subjectif d'un mot, dépassant de loin son sens strict (tel qu'il est défini dans le dictionnaire), est une réalité du langage courant (aucun mot n'est employé dans son sens purement objectif) ; mais, en poésie, le phénomène de connotation est volontairement démultiplié et intensifié au point d'en devenir une des caractéristiques fondamentales.
Pour établir ces connotations, le poète place le mot dans un réseau soigneusement choisi (un contexte lexical, syntaxique, mais aussi extra-textuel, biographique, par exemple) : la contamination du mot par les mots voisins intensifie alors le phénomène de connotation. C'est précisément ce que produit Apollinaire dans le vers « Soleil cou coupé » au moyen de la juxtaposition, puisque la couleur rouge du soleil couchant y est liée au sang, à la violence et à la mort par le seul jeu des connotations.
Par nature, les connotations sont impossibles à recenser, car elles peuvent se multiplier presque à l'infini : hormis celles qui sont suscitées volontairement par le poète, il y a toutes celles qui sont le fait du lecteur, et qui sont liées à son histoire individuelle, littéraire et sensible ; dans l'absolu, on peut dire qu'il y a autant de connotations qu'il y a de lecteurs.
Tous ces jeux lexicaux et syntaxiques sont caractéristiques de la poésie. Constitutifs de l'image poétique, ils servent aussi à marquer un décalage par rapport à la norme que représente le langage courant.
4.2.3. Jeux sonores et rythmiques
Pour compenser l'absence de la rime — définie comme le retour du même son à la fin d'un vers —, la poésie moderne a trouvé d'autres façons de créer un phénomène d'« isotopie sonore », c'est-à-dire d'identité sonore entre différents mots. Ce phénomène est fondamental en poésie : non seulement il structure le poème, mais il crée une certaine harmonie auditive (et, dans une moindre mesure, graphique) ; cette harmonie des sons est naturellement primordiale dans un texte destiné à être lu...comptines de l'enfance poussent ce jeu sonore jusqu'à l'extrême : une comptine comme « am stram gram pic et pic et colegram » révèle la saturation du texte par une assonance en « a ». Mais les poèmes les plus « intellectuels » y ont également recours. L'harmonie sonore est une chose, l'expressivité en est une autre : la répétition du même son est le plus souvent belle et signifiante à la fois. C'est là un niveau de sens que possède la poésie mais que n'a pas la prose.
a. Cratylisme et poésie phonique
Le cratylisme (nom issu d'un dialogue de Platon, le Cratyle) est la croyance dans un symbolisme naturel et figé des sons. Il établit un rapport constant et absolu entre un son et une signification, et, dans ses manifestations les plus extrêmes, a donné naissance à la poésie phonique. Un poème phonique se présente comme une suite de graphies correspondant à des sons (mais dépourvues de sens lexical) et fait reposer la signification sur les seules sonorités ; cela reste une expérimentation ludique et marginale en poésie. Dans une moindre mesure, le sonnet des Voyelles de Rimbaud établit un lien entre son et signification puisqu'il associe une couleur à chaque voyelle : « A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, : voyelles, / Je dirai quelque jour vos naissances latentes ».
En vérité, s'il y a effectivement un lien entre son et sens, il n'est pas figé. Ainsi, dans le titre d'un recueil de Paul Éluard, le Dur Désir de durer, la consonne « d » produit une impression de dureté, alors que dans ce vers de Verlaine, « de la douceur, de la douceur, de la douceur », elle produit l'effet inverse : la signification des sons est donc étroitement liée à d'autres facteurs (contexte, sens lexical, etc.) et ne saurait être fixée une fois pour toutes.
b. Créer du sens avec les sons
C'est précisément le travail du poète de concilier et d'harmoniser les sonorités avec la signification qu'il veut donner à son poème.
Dans la langue française par exemple, il se trouve que le mot « nuit » possède des sonorités claires (clarté, légèreté du « i ») alors que le mot « jour » possède des sonorités sourdes et sombres : le poète travaille en général pour aller à l'encontre de cette incohérence, comme le fait Racine dans ce vers : « C'était pendant l'horreur d'une profonde nuit. », où il associe au terme « nuit » des sonorités destinées à l'assombrir.
Dans ce que l'on appelle l'harmonie imitative, l'arbitraire de la couleur sonore est vaincu totalement puisque les sons miment véritablement ce dont les mots parlent : c'est le cas dans « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes », de Racine, où le sifflement est « mimé » par une allitération en « s », ou dans ce vers de Valéry : « L'insecte net gratte la sécheresse. », où le grattement est imité à la fois par l'assonance et par l'allitération.
c. Lecture tabulaire
L'isotopie sonore peut servir à tisser, il est vrai, un réseau de significations des plus féconds. Alors que la plupart des textes se lisent d'une façon simplement linéaire — les mots sont appréhendés les uns après les autres dans l'ordre du déroulement de la phrase —, la poésie autorise une seconde lecture, une lecture tabulaire (« en tableau », donc verticale). Un poème, en effet, peut être appréhendé de façon linéaire comme le langage courant : les vers sont lus les uns après les autres, dans un ordre classique (du haut vers le bas et de gauche à droite). Pourtant, une seconde lecture vient, inconsciemment, se superposer à cette première lecture : la lecture tabulaire consiste à rapprocher deux mots qui sont éloignés l'un de l'autre dans le poème mais qui se trouvent associés l'un à l'autre par leur ressemblance sonore. Lorsqu'Apollinaire, dans le poème « Nuit rhénane » d'Alcools, utilise le mot « femmes » et le mot « flamme », même si les deux termes se trouvent à la rime dans deux vers différents, un rapprochement sémantique (du sens) s'établit spontanément à cause de la ressemblance sonore : les femmes évoquées par Apollinaire sont associées à la flamme qui danse, aux flammes de l'enfer, etc. : elle sont diabolisées ou tout au moins rendues dangereuses. La poésie moderne développe de la sorte une grande variété de tensions entre structure sémantique et syntaxique d'une part, et structure rythmique et sonore d'autre part.
d. Rythme et disposition graphique
C'est sans doute pour faciliter la lecture tabulaire que, tout en renonçant au vers classique, la poésie moderne n'en est pas revenue à disposer les mots sur la page comme le fait la prose. Le vers, et surtout le retour à la ligne qu'il implique, sectionnant le texte à des endroits signifiants et mettant en valeur le mot final, recèle sans doute de trop importantes ressources expressives. Notons d'ailleurs que certains poètes modernes, tels Valéry, Aragon et Éluard, ont utilisé l'alexandrin pour sa noblesse et l'ampleur de son rythme. De nouvelles dispositions typographiques ont pourtant été essayées, tel le calligramme, développé par Apollinaire au début de ce siècle : les mots et les lettres, par leur disposition sur la page, représentent un dessin (ce qui ajoute un niveau de signification au poème : signifiant par les sons, par la sémantique et la syntaxe, il le devient aussi quant à la plastique).
Tout ce qui a été dit ici est valable pour la prose poétique (ou la poésie en prose) : on y trouve en effet ces mêmes jeux sonores et lexicaux. Il n'est pas rare non plus de trouver des vers dissimulés au sein d'un texte en prose (cas des vers blancs, souvent des alexandrins).
l'inspiration poétique en lui donnant comme origine l'inconscient et le rêve (depuis leurs travaux, on a reconnu une certaine analogie entre le « travail du rêve » et l'inspiration poétique : la condensation et la cristallisation, par exemple, sont communes au rêve et à la poésie). (Voir aussi Freud, Sigmund.) Pour eux, l'inspiration prenait la forme d'un « automatisme psychique », sorte de « dictée de l'inconscient ».
Pourtant, sans rejeter les diverses théories de l'inspiration, certains poètes du XXe siècle reconnurent l'intensité du travail nécessaire à l'écriture poétique. C'était déjà le cas de Du Bellay, et celui de Baudelaire, qui, s'il défendait une certaine idée de l'inspiration, affirmait qu'elle était la « sœur du travail ». Paul Valéry, par exemple, suspectait la validité de l'inspiration et valorisait les « gênes exquises », souvent fécondes, que représentaient les règles de la versification. Malgré cela, l'inspiration restait pour lui à l'origine de l'écriture poétique : « Les dieux, gracieusement nous donnent pour rien tel premier vers ; c'est à nous de façonner le second, qui doit consonner avec l'autre, et ne pas être indigne de son aîné surnaturel. » Après des siècles de débat, les poètes contemporains dépassaient ainsi la vieille alternative et réconciliaient inspiration et travail.
Désormais, la poésie revêt les formes les plus diverses : en prose, en vers, en vers libre ou en verset, elle est même parfois disposée de façon figurative sur la page blanche (ce sont les calligrammes d'Apollinaire). Peut-on déterminer ce qui, au sein de cette diversité, constitue l'essence de la poésie ?
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