Décolonisation
Décolonisation, processus historique qui a conduit les pays colonisés à l’accession à l’indépendance. La décolonisation, entamée dans les années trente par les Britanniques, est devenue une issue inévitable après l’effondrement de la puissance et du prestige des métropoles durant la Seconde Guerre mondiale.
Elle s’est déroulée en plusieurs étapes : de 1945 à 1954, la plupart des pays d’Asie s’émancipent ; de 1945 à 1965, c’est le tour des anciennes colonies en Afrique ; de 1965 à 1991, on assiste à une troisième phase qui voit s’achever la décolonisation et les derniers territoires dominés accéder à la liberté, tandis que l’éclatement de l’Union soviétique marque la fin du processus.
Enjeu de nombreux conflits, source de frustration pour les pays qui, tels l’Allemagne et l’Italie, s’étaient lancés tardivement dans l’aventure, la colonisation a été l’un des phénomènes majeurs de l’histoire mondiale au xixe siècle et dans les premières décennies du xxe siècle. Cependant, le système colonial, tant par ses justifications que par son application, contenait en germe sa propre disparition
1. LES PRÉMICES
La colonisation se voit justifiée non seulement par les avantages économiques qu’elle représente pour les puissances européennes, mais aussi par le développement qu’une telle situation assure aux pays colonisés. Selon la doctrine admise alors, la colonisation est devenue un système d’échanges entre les métropoles, qui vendent leurs produits manufacturés à leurs possessions d’outre-mer, et ces dernières, qui apportent leurs ressources et leur main-d’œuvre. L’action « civilisatrice » des pays européens doit surtout permettre aux populations soumises d’accéder progressivement au niveau social, culturel et moral des puissances colonisatrices ; à terme donc, la colonisation doit disparaître. Mais les termes de cette échéance demeurent fort lointains dans l’esprit des métropoles. Certes, la participation des colonies à l’effort de guerre entre 1914 et 1918 a suscité l’espoir de voir se modifier les rapports entre les deux parties, mais, dès 1919, les puissances coloniales reprennent comme avant leur domination. Seules les colonies de peuplement comme le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud voient leur situation se modifier, passant d’un statut de subordination à une position d’égalité au sein du Commonwealth.
Cependant, même si durant l’entre-deux-guerres les puissances coloniales ne voient pas la stabilité de leurs empires remise en cause, les idées nationalistes chez les peuples colonisés connaissent un essor certain.
Le retard économique des pays coloniaux s’avère très important et les métropoles ne font rien pour le combler. Au contraire, elles s’en tiennent à l’idée que chaque colonie doit pouvoir prendre en charge ses propres investissements pour se développer et coûter le moins possible aux contribuables européens. Mais, ce faisant, les puissances coloniales doivent s’appuyer sur les autorités traditionnelles pour administrer les différents pays, permettant ainsi aux cadres administratifs et politiques des futures indépendances de se mettre en place.
La colonisation favorise surtout l’apparition et le développement d’élites locales, commerçants, négociants, bourgeois et intellectuels, qui restent exclues du pouvoir confisqué par les colons et le personnel de la métropole. Leurs frustrations les incitent à se radicaliser peu à peu et à abandonner leurs revendications tendant à l’assimilation pour devenir nationalistes. Formés en métropole, frottés à la culture et aux idées occidentales, ils utilisent les valeurs telles que l’État-nation, la république, le socialisme ou le libéralisme pour dénoncer le colonialisme et justifier leurs revendications à l’indépendance.
Dans le même temps, en Europe, dès 1919, se diffusent les idéaux défendus par le président Thomas Woodrow Wilson, concernant en particulier le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, thème qui rencontre chez les colonisés une forte résonance, ainsi que ceux de l’anticolonialisme et du communisme, qui fait de la lutte anti-impérialiste l’un des points principaux de son programme. Cette diffusion favorise l’émergence d’un courant intellectuel et politique hostile au maintien de l’empire colonial, qui s’efforce en métropole même de soutenir, voire de relayer, les mouvements indépendantistes. Plusieurs tentatives ont lieu pour répondre à cette attente mais, soit que les solutions envisagées aient été trop timides, soit que les colons s’y soient opposés fortement, elles n’aboutissent pas, comme en témoigne l’échec du projet Blum-Violette visant, en 1936, à octroyer le droit de vote à 25 000 Algériens.
Dans les colonies mêmes, les premiers mouvements s’esquissent et connaissent parfois le succès. En Égypte, le parti nationaliste, le Wafd, triomphe lors des élections de 1924 ; il accède ainsi au pouvoir et incite les Britanniques à négocier l’évacuation de leurs troupes du pays (1936) sauf dans la zone du canal de Suez. De même, en Irak, les Britanniques préfèrent prendre les devants et signent avec les Irakiens un accord leur permettant de conserver des bases militaires tout en accordant la souveraineté à Bagdad.
D’autres actions jettent les bases d’une future indépendance et ont, par leur portée symbolique, un retentissement mondial qui favorise la prise de conscience du problème par l’opinion publique internationale, comme les campagnes de boycott menées en Inde dans les années trente par Gandhi sous le signe de la non-violence.
De nombreux partis, futurs cadres politiques de l’action nationaliste, se créent également : dans les Indes néerlandaises, le Parti nationaliste indonésien (PNI), fondé par Sukarno en 1927 ; en Tunisie, le Néo-Destour, par Habib Bourguiba en 1934 ; en Algérie, l’Étoile nord-africaine (1926), puis le parti du Peuple algérien (1936), par Messali Hadj. Dans le même temps, l’essor du communisme dans les colonies entraîne la fondation de nombreux partis communistes, tel celui du Viêt Nam par Hô Chí Minh en 1930.
Des révoltes se font jour, principalement dans l’empire colonial français, notamment au Liban où les Druzes se soulèvent en 1925, en Indochine (mutinerie de Yen Bay en 1931) et surtout au Maroc (guerre du Rif, de 1925 à 1926 contre les Français), à chaque fois très lourdement réprimées par l’armée française, le général Sarrail n’hésitant pas, pour mater les Druzes, à faire bombarder Damas.
2. LE CHOC DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE
La défaite de la France, en 1940, face à l’Allemagne nazie, et surtout les premières victoires du Japon (1941-1942), qui occupe les colonies françaises (Indochine), britanniques (Singapour, Malaisie, Birmanie), néerlandaises (Indonésie) et américaines (Philippines), portent, en affaiblissant les puissances coloniales, un coup décisif à leur prestige. De plus, les colonies prennent conscience de leur importance dans l’évolution générale du conflit. Ainsi, jusqu’en 1944, la France libre a pour principale assise territoriale l’empire, notamment l’Afrique-Occidentale française (AOF) et l’Afrique-Équatoriale française (AÉF) et, après le débarquement allié en Afrique du Nord (1942), l’Algérie, le Maroc et la Tunisie. Les métropoles font largement appel au potentiel humain et économique pour mener leur combat contre les puissances de l’Axe.
Enfin, la propagande des Alliés contre l’hitlérisme qui remet en cause la notion de supériorité de la race blanche, ainsi que la mise en avant du principe des droits des peuples à disposer d’eux-mêmes, principes inscrits dans la charte de l’Atlantique (1941) à l’instigation des Américains, puis dans celle des Nations unies (1945), favorisent l’essor des mouvements indépendantistes. L’espoir suscité s’accompagne d’une radicalisation certaine, comme en témoigne en Algérie le Manifeste du peuple algérien lancé par Ferhat Abbas en 1943, qui réclame l’indépendance alors qu’il s’était fait jusque-là le partisan de l’assimilation. Ainsi, dès 1945, la décolonisation apparaît comme un des problèmes majeurs de l’après-guerre. Le 8 mai 1945, en Algérie, dans les régions de Sétif et de Guelma, des émeutes ont lieu, obligeant l’armée française à intervenir et à se lancer dans une forte répression qui fait plusieurs milliers de victimes. En Indochine, après le départ des Japonais, Hô Chí Minh, à la tête du Viêt-minh, déclare l’indépendance du Viêt Nam et Sukarno fait de même en Indonésie.
3. UN PHÉNOMÈNE MAJEUR DE L'APRÈS-GUERRE
Si les Américains reconnaissent l’indépendance des Philippines dès 1946, en revanche, les puissances coloniales, surprises par la rapidité et la violence des revendications, ne sont pas préparées à une telle situation.
Pour la plupart des métropoles, la possession d’un empire colonial reste la base, voire le symbole, de leur puissance. Face au déclin progressif de leur rôle sur la scène internationale, les États européens cherchent à préserver un empire qui a été l’un des moteurs de leur force, leur assurant des zones d’influence considérables et apparaissant comme le signe de leur vocation mondiale. Les possessions d’outre-mer sont à leurs yeux un atout pour ne pas rétrograder au rang de puissances de second ordre. Dans l’esprit de l’opinion publique britannique, l’empire reste attaché à l’apogée de la puissance anglaise — le règne de Victoria —, tandis qu’en France, comme aux Pays-Bas, l’armée et une partie importante de l’opinion publique, marquées par le souvenir de la débâcle de 1940, perçoivent tout abandon de colonie comme le signe d’une nouvelle défaite.
À cela s’ajoute le poids, variable selon les colonies, des minorités européennes. Plus leur présence est importante et leur pression forte et relayée en métropole par des partis et des lobbies, plus il s’avère difficile pour les puissances coloniales de conduire une décolonisation pacifique, comme en témoigne le rôle joué durant la guerre d’Algérie par les Français d’Algérie, qui sont à l’origine de la crise finale qui emporte la IVe République.
Enfin, les intérêts économiques en jeu sont également un des facteurs qui rendent la décolonisation problématique. Offrant matières premières, ressources et débouchés commerciaux, les pays colonisés ont, avant 1939, une importance certaine dans l’économie des métropoles. Mais, après 1945, la nécessité de mener des opérations militaires de plus en plus nombreuses, d’entretenir sur place des troupes et des moyens logistiques de plus en plus importants pour tenter de freiner la montée des mouvements nationalistes, suscitent en métropole des critiques et des remises en cause de la politique coloniale. Il devient bientôt évident, pour un certain nombre de puissances telles que la Grande-Bretagne et les Pays-Bas, que les colonies coûtent plus qu’elles ne rapportent, ce qui a pour conséquence d’inciter ces puissances à se désengager progressivement. Cette théorie est défendue en France par le journaliste, codirecteur de Paris-Match, Raymond Cartier, d’où son nom de cartiérisme, qui dénonce la lourdeur de la charge coloniale sur le plan économique, contraignant la métropole à réduire ses propres investissements chez elle.
À cette remise en cause économique du système colonial s’ajoute également une forte pression de la part des deux « super-grands », les États-Unis et l’URSS, à l’égard surtout de la France et de la Grande-Bretagne. Américains et Soviétiques voient dans la décolonisation le moyen non seulement d’affaiblir les États européens mais également de consolider leur nouvel ordre mondial. Favorisant les mouvements indépendantistes, ils entendent bien prendre la place des anciennes puissances coloniales tout en se gardant de mener la même politique dans leurs zones d’influence respectives. L’anti-impérialisme n’empêche pas l’URSS de maintenir sa domination sur l’ex-empire tsariste et sur les pays satellites d’Europe centrale et orientale ; le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ne modifie pas l’attitude des États-Unis en Amérique latine, qu’ils considèrent comme leur chasse gardée. Mais leur soutien aux peuples colonisés joue néanmoins un rôle important dans la décolonisation.
À partir de 1950, cette dernière connaît une phase d’accélération grâce aux premiers succès enregistrés par les mouvements nationalistes. Les pays ayant accédé à l’indépendance deviennent en effet des références pour les États encore sous tutelle, qui se lancent à leur tour dans la lutte anticolonialiste. L’indépendance de l’Inde puis de l’Indonésie, la création de la Ligue arabe (1945), la conférence de Bandung (1955) ou bien encore la guerre d’Indochine (1946-1954) nourrissent les revendications des peuples coloniaux et conduisent les métropoles à infléchir leur politique.
Mal préparées à cette décolonisation, elles ne savent pas, le plus souvent, mener le processus conduisant à l’indépendance de la colonie. Cette impuissance à trouver une solution politique est en fait en grande partie due à la nature même de la colonisation. Les relations politiques et économiques entre la métropole et ses colonies ont pour conséquence une désagrégation des structures sociales dans les pays colonisés. S’appuyant sur des élites traditionnelles ou bien les désagrégeant, sur certaines ethnies au détriment d’autres, suscitant de nouvelles élites occidentalisées tout en les excluant des véritables responsabilités, les puissances coloniales nourrissent de violentes contradictions favorisant l’émergence de mouvements nationalistes complexes et tiraillés, où se mêlent modernité (État laïc, socialisme) et tradition (clans, identité culturelle et religieuse), contribuant à rendre la décolonisation plus difficile, voire plus violente. Aussi l’accession à l’indépendance s’accompagne-t-elle souvent de conflits interraciaux ou religieux que les métropoles n’ont fait qu’entretenir par la colonisation et n’ont pas su apaiser au moment de la décolonisation. Le désengagement soudain et total de la Belgique au Congo comme au Rwanda et au Burundi est suivi de terribles guerres civiles. De même, le départ des Britanniques en Inde s’accompagne en 1947 d’un conflit entre hindous et musulmans (voir indo-pakistanais, conflit) qui s’achève par la partition du sous-continent et la création de deux États séparés : l’Inde et le Pakistan.
Cependant, l’ampleur prise par le problème au lendemain de la Seconde Guerre mondiale conduit les principales puissances coloniales à s’interroger sur l’avenir de leur empire. La réponse des métropoles à cette situation est très différente selon les cas mais deux grandes stratégies se dégagent.
Après avoir manifesté une certaine inertie afin de préserver une sécurité illusoire, la France s’engage dans la voie de la répression pour sauvegarder ses intérêts. Certes, la conférence de Brazzaville, sous l’impulsion du général de Gaulle en 1944, insiste sur les progrès économiques et sociaux à mener dans l’empire. La création de l’Union française, par la Constitution de 1946, tente également de favoriser l’autonomie administrative des colonies : elle garantit l’accès des autochtones à tous les emplois, et leur donne une représentation politique plus large. La France semble s’engager dans une solution fédéraliste et témoigne de sa volonté conciliatrice. Mais, très vite, la peur de voir se désagréger l’empire amène les gouvernements de la IVe République à mener une politique répressive.
L’influence notamment de la tradition jacobine fait que la France préfère se lancer dans la voie de la progressive assimilation par une intégration complète des colonies à la métropole, qui doit à terme faire de tous les autochtones des citoyens français.
La Grande-Bretagne, qui avait pris conscience du problème dès l’entre-deux-guerres, tente de profiter des structures souples et évolutives du Commonwealth mises en place par le traité de Westminster en 1931, pour favoriser l’instauration d’un self-government des élites locales, afin de garder des liens politiques, et plus encore économiques. L’idée de domination doit être remplacée par celle d’association volontaire.
L’arrivée au pouvoir des travaillistes en 1945 favorise cette évolution. Le financement du Welfare State (État-providence) voulu par les travaillistes, suppose en effet une réduction des autres dépenses, donc un abandon progressif de l’empire, et ce d’autant plus que, pour la gauche britannique, l’empire a constitué les bases qui ont permis aux élites conservatrices d’asseoir leur pouvoir.
4. UNE DÉCOLONISATION PACIFIQUE
Cette stratégie permet à la Grande-Bretagne de conduire une décolonisation pacifique dans plusieurs pays, même si le désengagement rapide est parfois la cause d’affrontements religieux ou interéthniques (ou du moins les favorise) dans les pays décolonisés.
La Grande-Bretagne s’engage très rapidement après la guerre dans la voie d’une décolonisation globale. Ainsi, en Asie, ce sont successivement l’Inde et le Pakistan en 1947, le Sri Lanka et la Birmanie en 1948 qui accèdent à l’indépendance. Après l’Asie, c’est au tour des pays du bassin méditerranéen. Les Britanniques se désengagent de Palestine en 1948 et de Chypre en 1960, laissant dans ces deux pays les communautés antagonistes (Juifs et Palestiniens, Grecs et Turcs) face à face, puis de Malte (1964) perdant ainsi le contrôle de cette région, pourtant autrefois si importante pour son commerce. En Afrique, les Britanniques tentent dans un premier temps de favoriser un compromis par « l’association des races » afin que les colons blancs puissent conserver une partie du pouvoir. Mais, face à l’hostilité des populations noires, Londres se résout à accepter la thèse du nationalisme sans pluralité de races. Ainsi, le Ghana (1957), le Soudan anglo-égyptien (1956), le Nigeria (1960), la Sierra Leone et le Tanganyika (actuelle Tanzanie) (1961) accèdent à l’indépendance, sous l’impulsion de grandes formations politiques noires en position dominante dans lesquelles le personnel gouvernemental est recruté : à la tête de la Tanganyika African National Union (TANU, « Union nationale africaine du Tanganyika »), Julius Kambarage Nyerere, hostile à toute parité raciale, devient le premier président du Tanganyika, tandis que Milton Obote, le leader de l’Uganda People’s Congress (UPC, « Congrès du peuple ougandais »), prend la direction des affaires en Ouganda lorsque ce pays recouvre sa pleine souveraineté en 1962.
Ces pays africains sont suivis par les possessions anglaises aux Caraïbes. La plupart de ces nouveaux États restent membres du Commonwealth. D’ailleurs, la demande d’adhésion de la Grande-Bretagne au Marché commun en 1962 manifeste l’évolution économique et politique des Britanniques qui, du repliement sur leur empire, passent à une stratégie d’intégration européenne témoignant du recul de l’influence britannique dans le monde. Quasiment exclus du Proche et du Moyen-Orient, où les pays de la zone se regroupaient dans le pacte de Bagdad sous la protection des Américains, les Britanniques connaissent les mêmes déboires avec la Nouvelle-Zélande et l’Australie qui intègrent l’ANZUS (abréviation de Australia, New Zeland and United States), préférant Washington à Londres.
L’absence de violence et la relative facilité de ces diverses entreprises de décolonisation incitent nombre d’historiens à mettre en avant l’exemple de la Grande-Bretagne, instaurant un parallèle avec les autres empires coloniaux tels que ceux de la France, des Pays-Bas et du Portugal, États qui n’ont pas su conduire le processus d’accession à l’indépendance de leurs possessions d’outre-mer et ont eu à supporter des guerres longues et coûteuses. Mais cette opposition ne recouvre que partiellement la réalité.
En effet, la France a su réussir la décolonisation de l’Afrique noire. Grâce aux différentes étapes que sont l’Union française (1946), puis la loi-cadre Defferre qui établit un régime d’autonomie interne, la transition réformatrice est privilégiée et aboutit à une émancipation progressive et pacifique. L’absence d’intérêts économiques majeurs et d’une forte minorité d’Européens dans ces colonies favorisent la mise en place de cette solution, ainsi que l’attitude des grands meneurs indépendantistes africains, aux idées et à la culture francophiles, qui mènent une stratégie souple, ne s’engageant jamais dans l’affrontement direct avec la métropole mais au contraire y cherchant des appuis. Félix Houphouët-Boigny, député de Côte d’Ivoire à l’Assemblée nationale (1946-1959) et plusieurs fois ministre sous la IVe République, fondateur du Rassemblement démocratique africain (RDA), et Léopold Sédar Senghor, partisan d’un métissage entre la culture française et ses racines africaines, jouent un rôle primordial dans cette évolution. Et même si la Communauté française — créée par de Gaulle en 1958, qui instaure une autonomie interne complète tandis que la politique extérieure reste du domaine de la France — est un échec sur le plan politique, les pays africains accédant à l’indépendance sans conserver aucun lien avec la métropole, elle permet à la France de maintenir de bonnes relations avec les pays de l’Afrique équatoriale française (AÉF) et de l’Afrique occidentale française (AOF), qui demeurent dans sa zone d’influence.
La même situation se présente au Maroc et en Tunisie, où la France joue la fermeté dans un premier temps : l’arrestation de Bourguiba et des meneurs nationalistes tunisiens, la déposition et la déportation du sultan Mohammed V sont la réponse initiale de la métropole face à un mouvement indépendantiste qui ne cesse de se développer. Cependant, Pierre Mendès France et son successeur, Edgar Faure, prennent vite conscience du fait que la France n’a pas les moyens de mener de front de nouvelles guerres coloniales, alors que l’Algérie réclame de plus en plus de moyens, et préfèrent donc accompagner le processus de décolonisation, tout en préservant les liens politiques et économiques, c’est-à-dire l’essentiel. Cependant, même si le Maroc et la Tunisie accèdent rapidement à l’indépendance (1956), ces deux pays cherchent des appuis, auprès des Américains notamment, pour prendre leurs distances avec la France, et soutiennent dans sa lutte le Front de libération nationale (FLN) algérien.
Bien que plus tardive, la décolonisation espagnole se déroule également de façon plutôt pacifique. Entre 1968 et 1976, l’Espagne rétrocède l’enclave d’Ifni au Maroc, qui se partage avec la Mauritanie, en 1976, le Sahara-Espagnol, tandis que les anciens territoire du Río Muni et de Fernando Poo deviennent indépendants en 1968 sous le nom de Guinée équatoriale. De son empire jadis si vaste, l’Espagne ne conserve alors plus que les présides de Ceuta et de Melilla ainsi que les Canaries.
5. UNE DÉCOLONISATION VIOLENTE
Le plus souvent, cependant, la violence reste le trait dominant des processus de décolonisation. La Grande-Bretagne, elle aussi, est confrontée à des émeutes et des soulèvements, et la répression qu’elle organise à la suite de l’insurrection des Mau-Mau au Kenya, ou des actions de la guérilla communiste, essentiellement chinoise, en Malaisie, est brutale et sanglante avant que ces deux pays n’accèdent finalement à l’indépendance. En Rhodésie du Sud (actuel Zimbabwe), Londres s’avère incapable d’organiser un processus politique pacifique, et la minorité blanche décrète en 1965, unilatéralement, l’indépendance sur la base d’un régime raciste et d’apartheid similaire à celui de l’Afrique du Sud.
De même les Pays-Bas, impuissants à maintenir plus longtemps une présence militaire devenue trop coûteuse, doivent reconnaître la souveraineté de l’Indonésie dirigée par Sukarno, après une guerre violente de près de quatre années (1945-1949). Ils conservent encore la Guyane hollandaise mais, forts de leur expérience indonésienne, ne s’opposent pas à son accession à l’indépendance sous le nom de Suriname en 1975.
C’est surtout la France qui connaît un problème colonial important, entraînant de graves crises qui aboutissent à la naissance de la Ve République, en raison de l’absence de toute conception globale de la décolonisation comme de toute volonté politique forte de la part des différents gouvernements de 1945 à 1958, et du désintérêt affiché de l’opinion publique métropolitaine, mais aussi de l’évolution de la situation internationale. Ainsi, le conflit d’Indochine se déroule en grande partie dans un contexte de guerre froide liée à la prépondérance, dans le mouvement nationaliste, des communistes dirigés par Hô Chí Minh et à la proximité de la Chine de Mao Zedong. Huit années de guerre (1946-1954), le désastre de Diên Biên Phu (mai 1954) et le refus des Américains de lui venir en aide sont nécessaires pour que la France signe les accords de Genève le 20 juillet 1954, accorde l’indépendance au Viêt Nam ainsi qu’au Laos et au Cambodge, et se retire de cette région du monde.
À Madagascar, le soulèvement nationaliste en 1947 est suivi d’une répression très violente qui fait plusieurs dizaines de milliers de victimes, et les Malgaches n’accèdent à l’indépendance qu’avec le mouvement général d’émancipation de l’Afrique noire française, en 1960.
Enfin, en Algérie, la France s’engage dans l’une des plus longues guerres de la décolonisation (1954-1962) contre le FLN, en raison de la présence d’une forte minorité de colons (voir Algérie, guerre d’). Dans cette lutte sans merci, l’échec de l’expédition de Suez (1956) marque un tournant décisif en manifestant que la France ne peut plus agir sans l’assentiment des Américains et qu’un Arabe, l’Égyptien Gamal Abdel Nasser, l’a mise en échec.
Malgré l’envoi du contingent et un succès militaire sur le terrain, la France ne peut cependant se maintenir en Algérie ; le général de Gaulle, arrivé au pouvoir grâce à la pression des colons et de l’armée, sait conduire le processus menant à l’indépendance — acquise lors des accords d’Évian, signés le 18 mars 1962 — qui met fin à cent trente années de présence française.
Le Portugal se lance également dans de longs et difficiles conflits au Mozambique, en Angola et en Guinée-Bissau, y consacrant une part très importante de son budget. Mais l’échec du régime d’António de Oliveira Salazar à vaincre ces mouvements nationalistes entraîne sa chute, et la révolution des Œillets en 1974 ouvre la voie à l’indépendance des possessions d’outre-mer, qui devient effective en 1975.
6. UN BILAN CONTRASTÉ
Laissant de lourdes séquelles dans la mémoire des peuples colonisés, la décolonisation a marqué une étape majeure de l’histoire des pays d’Afrique et d’Asie, et rares sont ceux qui ont vécu sans trouble cette transition essentielle.
Des États-nations se sont certes formés mais ils ont été l’objet de nombreuses convoitises par les deux « super-grands », en raison de leurs richesses minières ou de leur importance géostratégique. Surtout, contraints de devoir choisir leur camps dans le contexte de la guerre froide et de la lutte entre les deux blocs, ils ne sont pas parvenus, malgré leur désir affiché, à donner une force et un contenu suffisant à ce qu’ils voulaient instaurer comme troisième voie entre capitalisme et socialisme.
Pour certains pays d’Asie, il leur a fallu adhérer à des organisations régionales dominées par les États-Unis. Dans l’ensemble, les pays non-alignés n’ont pu rester dans l’esprit de la conférence de Bandung. Surtout mal préparés à accéder à l’indépendance, nombre d’entre eux ont été la proie, dès leur indépendance, de violents conflits politiques ou interéthniques qui se sont amorcés avec le départ de la puissance coloniale.
En métropole aussi, la perte des possessions d’outre-mer a eu de nombreuses conséquences. Si elle a généralement été bénéfique pour les économies des ex-puissances coloniales, qui, comme les Pays-Bas, ont ainsi dès lors pu financer leurs propres infrastructures, en revanche, les conséquences politiques et sociales ont parfois été très lourdes : le rapatriement des colons et des indigènes qui avaient choisi le camp de la métropole a posé de nombreux problèmes de logement, de réinsertion et de chômage, sans compter que le poids des relations historiques avec les anciennes colonies a favorisé une importante immigration vers les États européens.
L’ère des empires coloniaux a vécu, laissant place à un monde toujours plus morcelé, comme en témoigne le nombre sans cesse croissant des pays membres de l’Organisation des Nations unies (ONU) : de cinquante en 1945, ils sont passés à plus de cent quatre-vingt aujourd’hui.
Ce morcellement s’est d’ailleurs encore accéléré avec la chute du mur de Berlin (1989) et l’effondrement du bloc de l’Est. L’Union soviétique n’y a pas résisté ; elle a éclaté en décembre 1991 face aux revendications nationalistes des ex-républiques composant son empire, au terme de conflits brefs mais violents, notamment en Arménie, en Azerbaïdjan et dans les États baltes.
Cet éclatement marque d’une certaine façon la fin de la décolonisation.
Cependant, quelles que soient les voies choisies — libéralisme, socialisme, système étatique fort ou État théocratique —, les pays qui ont accédé à l’indépendance demeurent soumis aux exigences de l’économie-monde et cette mondialisation a favorisé le maintien, voire l’accentuation, de leur dépendance envers les anciennes métropoles.
Cette dépendance économique, caractéristique du néocolonialisme malgré les politiques d’aide et de coopération, et le poids de la dette — les puissances européennes demeurant parmi les principaux bailleurs de fonds — jouent, aujourd’hui encore, un rôle important dans l’impuissance des ex-pays colonisés à mettre en place les structures de leur développement.
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